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le blog de gab
27 janvier 2005

grande surface

Il n'y a pas de décor, ou plutôt le décor est si bien fait qu'il devient invisible (le décor c'est ce qu'on ne voit pas, dit Blang). Des lumières aveuglantes, pas de zones d'ombre. Tout est à disposition de la main, rien n'est caché. C'est brillant, aseptisé, mais en même temps c'est sale, on sent comme une espèce de crasse consubstantielle aux choses.
Il  n' y a pas vraiment d'acteurs, ou alors des acteurs transparents, interchangeables, sans personnalité. Tous poussent les mêmes chariots, remplis de mêmes pauvres articles clinquants et fades.           
Au rayon légumes, tout le monde a appris à se servir soi-même. Mais ici, curieusement, une fois qu'on a choisi ses tomates, ses mandarines, il faut aller les faire peser par une employée. Elle a donc un rôle, une personnalité, une mission, un statut social au milieu  des zombies stressés.
On dirait presque que les zombies lui en veulent. Elle est sur  un genre de haut tabouret à roulettes, devant trois balances électroniques. Il y a en permanence trois zombies qui tendent leurs poches en plastic d'un air vaguement menaçant. Elle court d'un balance à l'autre, sans relâche.
Il n'y a pas de dialogues. Aucune parole n'est échangée. Le client servi s'en va avec un vague signe de tête.
Pourquoi tout le monde est-il si pressé ? Sans doute les clients veulent-ils fuir au plus vite l'absurdité du moment, se retrouver dans la solitude réconfortante des rayonnages débordants de victuailles et de richesses. L'employée, elle, s'efforce de suivre le rythme, le rythme trop rapide des clients et le rythme trop lent des balances.
Et il n'y a pas d'histoire, pas de drame, et pas de dénouements. Le dénouement a lieu sans doute le soir, en dehors de la scène, pour l'employée aux balances.
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Commentaires
B
Je lis et relis tes théatres de la vie quotidienne, et je trouve cela de mieux en mieux.. le dernier est parfait et celui du boucher aussi.. Tu es un écrivain (!) tu as un style et tu pourrais faire un ensemble intéressant..<br /> Bon, j'arrête.. A la prochaine..
C
James Ensor et Bruegel l'Ancien...par exemple.
B
J'en reviens, de la grande surface. C'était bien. J'ai été polie avec tout le monde.<br /> Au rayon whiskys, une dame a souri, quand je m'écartais pour la laisser mieux voir le paysage des étalages. <br /> Au rayon rhum, elle m'a suivie, a marmonné "ah Martinique", pour converser, faire un nouveau sourire ... quand on commence, on aime bien ... <br /> j'ai fait comme si de rien, elle buvait trop. Je n'ai rien acheté au rayon rhum.<br /> A la caisse, avec les deux de devant, on a bien bavardé. Elle lui parlait, il ne voulait jamais l'accompagner quand elle entrait dans une parfumerie, pourtant ça sentait le mimosa, comme il aimait.<br /> Ça m'a fait marrer, on en profite. <br /> Débat sur les parfums ..., tous chimiques. Quand elle en met, la dame, elle a des maux de tête. Sauf avec un, le numéro 5 ... <br /> - de Chanel ? que j'lui balance. Tant pis pour le ridicule, je n'en connais pas d'autre. Gagné, elle est contente pour moi. <br /> On est tous bien contents. Allez un autre débat sur la nourriture ... parfum naturel, qu'ils écrivent, c'est chimique, y'en a partout ... Les champs de patates, ils arrosent, mais elles n'ont pas besoin d'eau ... je me tais, je connais bien les patates, mais quand on les ramasse ...<br /> - Vos tulipes sont jolies, je dis.<br /> - Oui, pour 3euros 80, pourquoi s'en priver. Les tulipes épousent la forme du vase. Il leur faut un vase droit, pour rester droites. Avec un vase rond, elles se mettent en rond. <br /> Ça me fais marrer ... Charmante, cette grande surface ...<br /> Lui il nous écoute, garnit le tapis. Au tour des tasses, il me regarde, raconte qu'ils n'en ont plus, ils les cassent chacun leur tour ... Je ne pose pas de question ... je me marre ... ça passe ... C'était vraiment un bon moment. <br /> A la caisse, bien sûr, ça n'allait plus.<br /> - La dame : rien n'est prévu pour ces choses ? <br /> Pour emballer les tasses, qui cassent. <br /> - La caissière : non, rien du tout ... (tout haut) ... rien à foutre ... (tout bas) ...<br /> Je salue mes compagnons de caisse.<br /> La caissière, aimable professionnelle, a l'oeil fixe, vif, le geste juste, lent, sûr.<br /> Cocaïne, je crois.<br /> On se marre, elle et moi, en regardant le ticket sortir de la machine, interminable ... Ça vous fait une pause, je dis ...
C
"Il n'y a pas de realite:seule existe la perception de la realite".C'est bien d'ailleurs pour cela qu'il y a des blogs.<br /> .
L
Très beau nouvel acte de ton "théâtre.."<br /> J'ai, pour ma modeste part, trois règles d'or quand je vais au super-marché:<br /> - la haine sans compassion du "rôle" auquel les sciences du management (c'est comme ça que ceux qui en jouissent on appelé ça) assignent l'employée (la caissière, la peseuse, la colleuse de prix, avec chacune leur badge où l'on peut lire leur prénom [on leur souille même leur nom]) avec l'abjection de l'idée qu'ainsi le client est, par exemple, dans une proximité conviviale (beurk).<br /> - le souci de prendre tout mon temps, deux heures si besoin est pour faire mes courses afin de duper le lieu et son ignoble efficacité, sa rapidité-propreté-et-j-en-passe, afin de transformer le consommateur pressé et vulgaire qu'on m'intime d'être en passant amusé et mutin, baguenaudant dans les rayonnages d'un monde étrange où le seul salut est d'inventer un temps que le lieu récuse, si l'on peut dire, par nature.<br /> - la politesse non feinte accompagnée de tranquille patience (par exemple, à la caisse) et de petits échanges verbaux bienveillants avec quiconque en offre l'occasion.<br /> Je penserai ce soir à la femme qui pèse les légumes et que le premier connard venu, du haut de son statut d'usager (beurk) ou de client-roi (re-beurk), s'autorise à vilipender pour peu qu'elle s'alentisse un instant, ou ne réponde pas à l'urgence de son seul et petit affect de pouvoir, digne de la lente ou de la tique.<br /> Grâce à ton message, Gab, je penserai ce soir à cette femme.
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