Eyadéma (suite)
Extraits d'une correspondance Internet avec Stephan, un ami togolais, à propos de la situation au Togo.
8 février
[Décès du président Eyadéma le 5 février. Son fils Faure Gnassimbé
prend le pouvoir par ce qu'il faudrait appeler un coup d'état "légal",
au prix d'une révision en catastrophe de la Constitution, alors que le
détenteur légitime de la souveraineté constitutionnelle , le président
de l'Assemblée Nationale, est empéché de rejoindre la capitale Lomé.]
Stephan :
[...]
Une situation toutefois plus inquiétante au Togo. Avec le décès de
notre président et le "coup d'état" militaire que s'est permis dans la
foulée son fils... Une continuité bien triste ... une chute du tourisme
... une rupture certaine des éventualités de coopération ... une
conjoncture qui laisse à désirer ... bref la paix en dernier rempart.
25 février [Pressions africaines et internationales sur
le régime de Lomé. A l'intéreur, répression des manifestations. UA :
union africaine ; CEDEAO : communauté économique des états de l'Afrique
de l'Ouest ; Kara est une ville du Nord du Togo.]
Stephan:
géopolitique
[...] J'étais
justement a Lomé avant-hier, c'est à la fois tendu et ouvert. Je me
promenais librement, mais sous l'oeil très attentif des soldats. Des
soldats très nombreux a Lomé. Quasiment a chaque coin de rue. Le
problème dans notre situation actuelle c'est l'armée. Si l'armée était
moins forte, dès aujourd'hui je le pense Faure [fils d'Eyadéma] se
retirerait. Et même s'il ne se retirait pas, ce qui ne fait l'ombre
d'aucun doute c'est que tout Togolais en ce moment a envie de
manifester, dire son refus à une dynastie au Togo. Ça c'est clair,
supprimons les militaires sur les routes, de Kara à Lomé nous
marcherons illico pour renverser le pouvoir actuel. Le pouvoir actuel
du Fils, les mêmes problèmes passés que sous le père, où donner de
l'oeil ? Eh bien peut-être aux institutions étrangers, CEDEAO , UA qui
font leur boulot pour une fois. Dès ce soir, Le Togo n'est ni membre de
l'UA ni de la CEDEAO et donc le président autoproclamé ne peut voler
avec son avion qu'entre Lomé et Niamtougou (Kara) en Afrique. C'est
tout! Quel est ce président ? Peut-il être fier de sa situation ? Non,
ce dont les togolais ne sont pas fiers non plus c'est d'avoir entendu
Chirac pleurer : Eyadema un ami de la France. C'est clair on le savait,
car Eyadema appuyait Chirac a coups de billets de banques (affaire
secrète en France encore) mais le pleurer tout le monde ne l'a pas vu
du bon oeil. Bref pas un sentiment anti-français mais anti-Chirac...
La suite de la situation chaque jour sur
http://www.rfi.fr/Fichiers/ecouter/audiocarte.asp
notamment Afrique midi, le journal le plus écouté sur toute l'Afrique
tellement il est précis. Les informations sont plus claires même
que celles reçues de l'intérieur... le progrès c'est aussi ça. C'est
aussi la malice, rfi coupé en ondes fm à Kara on l'écoute sur le net.
Et la routine désormais, chaque Samedi "Togo mort", manifestations
(réprimées a balles réelles par les forces de l'ordre parfois) mais
possibles à Lomé près de la mer , à Bè dans un fief de l'opposition .
Stephan, le 1er mars :
[...]
Au fait étrange coïncidence que mon dernier mail. Au moment ou je le
saisissais ,ou je te faisais le point sur la situation au Togo, Faure
Gnassingbé faisait son point à la TV et démissionnait, laissant poindre
une possibilité de sortie de crise. La non-nomination de Natchamba
(président de l'assemblée nationale le jour du décès d'Eyadema et
absent du Togo étant en mission a Paris) désole certains dont moi, mais
ce point semble être oublié par l'extérieur, la communauté
internationale, et Abbas Bonfoh est désormais considéré comme le
président du Togo. Ce monsieur je le connais d'ailleurs très bien,
ayant été a l'école avec son fils et ayant maintes fois discuté avec
lui en tant que mon inspecteur....
Cela
dit, en réalité on s'en fout de qui sera le président. L'essentiel
c'est que la communauté internationale trouve nos élections
démocratiques même si elles sont truquées , comme ça pourra reprendre
la coopération et les étrangers reviendront. C'est tout ce qu'on peut
souhaiter présentement.
Ce à quoi je réponds, le 3 mars :
Pour
la situation au Togo, je lis des articles dans les journaux, j'y vois
un peu plus clair. Je pense que l'enjeu de vraies élections
démocratiques est crucial, il conditionne une vraie coopération des
pays étrangers. Je suis écoeuré de la connivence de Chirac avec Eyadéma
le père - je dis Chirac, je ne dis pas la France, bien que je me sente
assez mal de l'attitude de la France en Afrique francophone, elle est
en train de perdre une zone d'influence importante car elle ne voit que
son intérêt à courte vue. La concurrence avec les Etats unis est rude,
peut-être finalement les américains seront-ils plus intelligents. Bref
il ne faut pas souhaiter la coopération avec n'importe quels étrangers,
surtout si ils sont prêts à fermer les yeux sur des élections truquées.
Pardonne moi si je dis des bêtises, je sais que ces problèmes sont très
complexes, mais ça m'intéresse beaucoup d'en parler avec toi.
A bientôt.
Réponse de Stéphan, le 3 mars :
Transition = solution de continuité ?
www.lintelligent.com détaille très bien la situation togolaise.
[...] Sinon c'est vrai que des élections dites démocratiques
résoudraient tout ici. A vrai dire on sait qu'il n'y en aura pas,
comment peut-il y en avoir, où tout dans un pays est plus ou moins
attribué au "Père de la Nation" ? Imagine une seconde que Chirac dit
l'Élysée c'est pour ma propriété privée... ici, le château
présidentiel, tout... = propriété privée. Dans cette mesure les cadres
actuels ont peur du changement car trouvant intérêt dans les structures
actuelles... Mais le but est d'organiser je pense un simulacre
d'élections dites libres qui respecteraient un tant soit peu la
représentativité de l'opposition avec des observateurs internationaux
qui ne noteraient pas d'incidents majeurs et voila le tour est joué, le
résultat lui étant connu ici d'avance... Comment en effet ne pas gagner
si les principaux opposants sont exclus du jeu : Gilchrist Olympio,
fils du premier président dont l'armée dit s'il atterrit au Togo, elle
reprend illico le pouvoir ! Tout ça n'est pas perçu depuis l'extérieur.
La CEDEAO, notre "ONU" régionale, elle a fait son boulot , pour elle ce
fut de chasser Eyadema le fils.[...]
Il
faut aussi analyser les choses au niveau de la constitution. Le fait
qu'elle a été écrite entièrement par un Français, Debbasch, et que
celui-ci la connaît par coeur pose problème. Il devrait être neutre.
Seulement voila, la famille Eyadema l'avait engagé , et dès la mort du
père c'est lui qui a concocté dit-on ( c'est une certitude quasiment,
car il a même loué un avion pour se rendre en express a Lomé... ) la
potion magique, la potion constitutionnelle qui a permis l'arrivée au
pouvoir du fils Eyadema. Cela ajoute au dégoût pour ce français, pour
Chirac cela est acquis, d'où un sentiment un peu lourd contre la France
, mais pas anti-français au Togo. Car la France on le sait ici aussi ne
fait pas le poids face a l'Allemagne dans les décisions de
l'UE(coopération). En effet maintes fois la France, amie du Togo, avait
exigé à Bruxelles la reprise de la coopération et chaque fois c'est
l'Allemagne, première métropole, qui a eu le mot final : La démocratie
avant tout. Cette attitude de l'Occident d'exiger une quelconque
démocratie avant toute coopération peut être égoïste a mon sens et
l'est. La Libye, des pays arabes et du proche-orient sont moins
démocratiques que le Togo, disons-le ! Mais en tant que principaux
clients , partenaires commerciaux de l'Europe qui ne peut se passer de
leur pétrole , de leurs ressources, on crie de temps en temps aux
atteintes à la démocratie sans pour autant cesser de faire des
transactions avec ces pays. Alors dans la mesure où des pays comme le
Togo n'ont aucun poids économique réel dans le marché de l'Occident ,
on peut se dédommager de certaines pratiques douteuses parfois et
chercher à se faire bonne conscience sur certains exemples. Un jour où
des questions se poseront sur la démocratie dans le monde : La France
dira je suis intervenu au Togo , en exemple choisi , et tâchera de ne
pas parler de la Libye. Ça fait un exemple , c'est déjà l'ESSENTIEL.
Mais à y voir plus clair, instaurer la démocratie au Togo, ce serait
pouvoir faire pression sur le Bénin, sur le Burkina et petit à petit
sur toute l'Afrique de l'Ouest. De même contraindre un pays frontalier
de la Libye à un tel jeu permettrait d'avoir du poids sur la Libye.
D'où souvent on s'acharne sur les "petits".
Cela
dit la vie est désormais un long fleuve tranquille sur la scène
politique ici, où les partis doivent présenter leur candidat.... et ce
(tranquillité) jusqu'au 13, obsèques du "père de la nation" (expression
que je n'aime pas personnellement, mais employée continuellement par
les officiels, les medias, le fils au président qui ne sait pas dire
mon père... )..
Concernant
la France , Eyadema a eu des relations très fortes avec tous les
présidents français de l'actuelle république et très fortement a partir
des années 80 car disposant alors d'argent il a souvent financé les
partis politiques français au pouvoir !
Les
liens avec l'oncle sam (states of america , savais-tu l'origine de sam?
) , je doute de tes informations . Bref pas de bêtises dans ce que tu
dis, mais une incompréhension à ce niveau. Car je pense que ceux-ci ne
recherchent aussi que leur intérêt. Mais un intérêt réel qui développe
toutefois l'autre. En 90, ils étaient quasiment absents de l'Afrique de
l'Ouest et cherchaient une base arrière. Ce fut le Togo qui fut choisi.
Voila ce qui devrait se faire :
- Une zone franche avec délocalisation d'usines de construction automobiles, avions, hélicos, prospections de pétrole...
-
Instauration de l'anglais comme seconde langue (on l'avait accepte car
c'est plutôt favorable): : ils devaient fournir la logistique
nécessaire pour apprendre l'anglais dès le primaire.
Seulement
en 90 il y a eu « guerre civile » (appelons ça comme cela) au Togo. Et
voila ils sont partis et depuis comme ils ont trouvé ailleurs (au
Nigeria ? ) pourquoi chercher encore. Si les états unis s'intéressent
au Togo, peut-être aujourd'hui, c'est qu'ils redoutent le futur au
Nigeria (?)
Ma réponse :
Merci
pour ton "papier" bien éclairant. Je suis tout à fait d'accord avec toi
sur l'hypocrisie des puissances occidentales quant à la nécessité, ou
non, d'exiger la démocratie dans les "petits" pays. C'est un peu
l'inverse, mais au fond c'est la même chose quand l'oncle Sam renverse
une dictature en Irak et s'accomode fort bien de la dictature en Arabie
saoudite, celle-ci lui étant plus favorable.
D'accord avec toi
pour ce qui est des états unis, c'est ce que je voulais dire mais je me
suis mal exprimé. Evidemment les états unis recherchent leur intérêt,
mais me paraissent plus malins, à l'inverse des français, qui sont en
train de dilapider un formidable capital de sympathie.
L'origine de "oncle SAM" : j'ai du le savoir, mais j'avais oublié !
J'espère pour ma part que l'Europe se comportera de manière
intelligente comme elle a pu le faire (aide au développement économique
contre développement des droits de l'homme, après tout c'est l'idée
fondatrice de l'Europe), mais que le Togo et les autres pays de la
région garderont leurs trésors culturels, humains, sociaux et naturels,
comme nous avons pu en découvrir quelques-uns au cours de notre voyage.
Je dis ça parce que par ici nous sommes riches mais bien tristes ! ...
A+ Gab