Paroles de Jean Racine, musique de Gabriel Fauré, donc. Excusez du peu...
C'est intéressant de suivre la partition, au fur et à mesure.
Dans l'article correspondant de Wikipedia, on peut lire :
"...cette pièce se situe dans la tonalité de ré bémol majeur. Cette œuvre présente un caractère solennel. Après une introduction jouée au piano (ou à l'orgue), le chœur entre pupitre par pupitre. À la quarantième mesure, après un pont instrumental, une partie centrale modulante intervient en la bémol majeur (puis si bémol mineur), où l'œuvre atteint son plus haut niveau expressif."
Ce plus haut niveau correspond bien aux paroles :
"... que tout l'enfer fuie au son de ta voix"
"...(ce sommeil) qui la conduit à l'oubli de tes lois"
I feel the earth move
Un extrait de l'opéra "Einstein on the beach", de Philip Glass.
L'animation est un peu lassante, mais laissez vous emporter par cette mélopée enveloppante, ce murmure mystérieux, ce secret entendu comme au fond d'un rêve...
Ce secret c'est un poème de Christopher Knowles. Le début :
I feel the earth move... I feel the tumbling down tumbling down... There was a judge who like puts in a court. And the judge have like in what able jail what it could be a spanking. Or a whack. Or a smack. Or a swat. Or a hit. This could be where of judges and courts and jails. And who was it. This will be doing the facts of David Cassidy of were in this case of feelings. That could make you happy. That could make you sad. That could make you mad. Or...
Canon cancricans
Le canon en crabe, extrait de l'offrande musicale, de Jean-Sébastien Bach. Pour enfin comprendre qu'est ce que ça signifie, ce canon en crabe ! (Le ruban de Moëbius ne rajoute pas beaucoup de clarté.)
Héraclite
"Nous sommes et en même temps nous ne sommes pas." "L'être et le non-être sont à la fois la même chose et autre chose." "Toute chose, en tout temps, réunit en soi tous les contraires."
D'après Nietszche, la naissance de la philosophie à l'époque de la tragédie grecque. De quoi se changer du principe de non-contradiction,et de toutes ces fariboles... De quoi se réveiller, au coeur de la nuit du monde...
Vous je ne sais pas mais dans la vie j’essaie d’être sympa
avec les gens qui m’entourent (je dis bien j’essaie, hein ! ), et puis je
m’intéresse plutôt aux gens sympas, cools, tout ce que vous voulez, des qui ne
la ramènent pas trop, enfin bon tout ça me parait normal et banal.
Sauf que.
À en croire la lecture du « Monde magazine » du
17/7/2010 (le supplément week-end du Monde), eh bien ce genre d’attitude est du
dernier ringard, c’est has been, c’est out. Les gens auxquels il faut
s’intéresser ce sont genre les requins de la finance, les grosses fortunes
baties sur l’arnaque, et si c’est des gens plus ordinaires on s’applique par
tous les moyens à les rendre tout à fait antipathiques, cons, odieux, avec les
meilleures intentions du monde évidemment.
Exemple du type parfaitement odieux et sur lequel on nous
somme de nous extasier : celui qui fait la couverture : « Sheldon
Adelson − l’empereur des casinos − rencontre exclusive »
Phrases choisies dans le panégyrique :
un homme « dur en affaire, très dur... déraisonnablement
dur » ...
le plus grand hôtel du monde, avec 2000 suites...
Très proche du clan Bush, Adelon a mal supporté l’élection
d’Obama...
l’Amérique n’est plus à l’échelle de ses ambitions...
Les dirigeants chinois sont impressionnés...
Il récupère sa mise en dix mois seulement...
Adelson décide alors de construire à Macao le plus grand
casino du monde...
Le batiment est saisissant de beauté...
Un milliard pour ne pas faillir. Un milliard pour garder sa
réputation d’invincibilité...
Passons. Les gens ordinaires maintenant. Par exemple les
anglais qui s’installent dans le Périgord. A priori des gens très bien, la
démarche est sympathique, rien à signaler. Et bien voilà comment le Monde
magazine présente les personnes en question (photos de Rip Hopkins) :
Bon, il parait que ces images sont : « follement
drôles. Et rassurantes aussi, tant elles confirment nos idées sur les
"anglais" ». Moi je les trouve simplement grotesques – les images, la
mise en scène, pas les gens eux-même − mais je n'ai aucun humour, d'un seul
coup. N'oublions pas qu'il s'agit d'un exercice de détestation...
D'autres personnes offertes à notre vindicte, à notre aigreur :
les lauréats du concours général :
Ceux là aussi sont bien dans la caricature, et je ne sais si
ce sont eux qu'il faut détester, ou cette mise en scène, ou ce choix de
l'illustration...
Et puis les "décroissants", avec cette photo
qui accumule les poncifs attendus : le vélo avec la salade
dans le porte-bagages, le jardin aux herbes folles – un jardin à Marseille,
tout de même – la pose pas vraiment abandonnée, on pourrait parler d'abandon
militant, del a jeune décroissante dans son uniforme rigoriste de décroissante .
Notez, j'ai rien contre les décroissants, hein (« moins
de conso, plus d’éthique – la belle vie des décroissants » : quelle
présentation !), mais suivre Christophe, qui « fait son compost, se
chauffe avec un poële à bois, récupère l’eau de la machine à laver pour
arroser », fabriquer sa lessive avec de la cendre de bois, se brosser les
dents avec de l’argile verte, etc, merci, mais non merci.
Bon, au Monde magazine, je pense qu’ils ont un faible pour
les antipathiques ; et les sympas, ils aiment les rendre antipathiques.
Dans l’édito, on lit ça, à propos de la livraison précédente : « ne
fallait-il pas donner la parole à Philippe Val et aux membres de l’équipe qui
avaient une autre vision des choses que celle qui se déploie sur les forums
internet ? » C’est vrai, quoi, si les censeurs aux ordres ne peuvent
pas s’exprimer, où va-t-on !
Philippe Val, encore un antipathique, très bien mis en
valeur sur la couverture de ce précédent numéro :
Edifiant.
Je vous avais prévenu, c’était un exercice de
détestation !
Le 8 juillet 2010, M
Carmignac, du cabinet Carmignac gestion, 24 place Vendôme, etc, commettait ce
communiqué dans le journal « Le
Monde ». À lire et à savourer in extenso :
«
Madame, Monsieur,
« Eh bien, dansez
maintenant ! » Nos gouvernants ont-ils encore en mémoire le refus de
la fourmi de prêter à la cigale qui, « ayant chanté tout l’été, se trouva
fort dépourvue quand la bise fut venue » ?
La contagion de la crise
grecque à nombre de signatures d’état européennes devrait pourtant faire
l’effet d’une puissante piqûre de rappel. Désormais, les épargnants n’exemptent
plus la dette souveraine du risque de défaut, poussant les États à mener des
politiques économiquement responsables.
Aussi incombe-t-til à nos
gouvernants la lourde tâche de rendre socialement acceptable les ajustements
nécessaires. Le coup d’arrêt à l’endettement public est porteur d’avenir. Il
met un terme au creusement de la principale inégalité affectant nos nations
vieillissantes, l’inégalité intergénérationnelle. Il nous appartient de régler
les factures de nos excès, et non à nos enfants et petits-enfants.
Papys-boomers nantis que nous sommes, nous nous devons d’accepter des réformes
ambitieuses, tant sur le régime des retraites que sur la réglementation du
travail, qui pérennise des avantages acquis de nature souvent contestable.
Quid des marchés
boursiers ? Fragilisés par le tensions sur la dette européenne et
l’inévitable ralentissement en cours de l’économie américaine, ils craignent en
ce début d’été le retour à une recession mondiale. Nous en doutons. Certes,
tant l’Europe que les Etats-Unis disposent d’une marge de manœuvre réduite en
ce matière de stimulation fiscale et monétaire pour contrecarrer les effets
durables de la réduction de l’effet de levier en marche. Cependant, il serait
léger, une fois encore, d’oublier que le centre de gravité de la croissance
mondiale est devenu l’univers émergent, dont les principales locomotives
disposent de ressources amplement suffisantes pour relancer l’activité globale,
si le besoin s’en faisait sentir.
En vous souhaitant de danser
au cours de vos vacances à un pas le moins saccadé possible, je vous prie
d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma considération choisie.
Édouard Carmignac
»
Face à un tel déferlement de mépris, je ne sais que faire,
sinon publier cette réponse, dans mon modeste blog, réanimé à cette
occasion :
Monsieur Carmignac,
Je dois dire que je n’ai pas du tout apprécié votre
« communiqué » paru en pleine page du « Monde » au 9
juillet 2010.
Vous donnez votre avis sur la réforme en cours des
retraites, soit. Nous sommes en démocratie, chaque citoyen a le droit de
s’exprimer.
Le problème est que ce n’est pas le citoyen qui s’exprime,
mais Édouard Carmignac, du cabinet Carmignac gestion, société de gestion de portefeuille,
apprend-on en bas de page.
C’est quoi, la gestion de portefeuille ? À vrai dire,
ce n’est rien. Ça ne produit rien. Vous ne produisez rien, M Carmignac, votre
contribution à la richesse réelle du pays est nulle. Votre métier consiste à
faire que les gens qui ont de l’argent aient encore plus d’argent, sans rien
faire. Vous, vous gagnez de l’argent en faisant ce métier. Et vous pensez
visiblement que ce métier, cette situation, vous autorise à donner votre avis
sur une question qui concerne chacun d’entre nous ; que vous avez
légitimité à donner votre opinion comminatoire sur nos « excès »,
« papy-boomers nantis que nous sommes », qui avons « des
avantages acquis de nature souvent contestable ».
Je conteste cette légitimité. Il semble qu’il soit pour le
moins « excessif » de se payer une pleine page du « Monde »
pour nous faire part de vos états d’âme. Je vous imagine assez bien la
soixantaine élégante, costume sombre, imposante berline aux vitres teintées,
bel appartement dans un beau quartier de Paris, belle femme, belles
fréquentations, bref, « papy boomer nanti » plus qu’il n’est
nécessaire, plus que les « Madame, Monsieur » auxquels vous vous
adressez, et qui, eux, produisent des richesses, et en tirent un salaire qui ne
leur permettra pas, en tant qu’ « épargnants », d’« exempter la
dette souveraine du risque de défaut ». Quel langage !
Enfin, nous voyons bien à qui nous avons affaire. Les
« épargnants », espèce mystérieuse, néanmoins toute puissante si on
veut vous en croire. Par votre intermédiaire, les épargnants donnent une leçon
de morale aux prolétaires (quel autre mot pour désigner celui qui ne dispose
que de sa force de travail pour gagner sa vie ?), la fourmi à la cigale...
Morale et culpabilisation, puis l’évocation habituelle aux « marchés
boursiers », dont on apprend qu’ils sont aujourd’hui
« fragilisés », les pauvres, et qu’ils « craignent », ces
chers petits... Que craignent-ils, au juste ? C’est assez obscur, il s’agit à un moment donné de la
« réduction de l’effet de levier en marche »... Fort heureusement,
l’ « univers émergent », etc... Quelle bouillie ! Quel
galimatias !
Monsieur Carmignac, je récuse vos analyses fumeuses, vos
incantations appelant aux sacrifices, votre demande de régression généralisée
(en particulier, et textuellement, sur la réglementation du travail), qui
devraient épargner, bien sûr, la race sacrée des épargnants ! Et pourquoi
on ne leur demanderait pas aussi quelques sacrifices, à ces chers petits ?
Vous terminez en nous demandant d’agréer l’expression de
votre considération « choisie ». Ce mot me laisse rêveur. Je pense
que vous avez choisi cette considération que vous nous octroyez dans
l’arrière-cour, les rayons en solde, le vrac réservé au tout-venant. Votre
considération la meilleure, vous la réservez clairement à d’autres personnes,
d’autres richesses, d’autres intérêts, d’autres puissances.
De mon coté, permettez moi de vous remercier, oui, quand
vous nous livrez, phraséologie comprise, cet échantillon brut et sans
fioritures de l’idéologie dominante.
(vous pouvez cliquez sur les images pour les agrandir)
« Dès l'aérogare J'ai senti le choc Un souffle barbare Un remous hard-rock Dès l'aérogare J'ai changé d'époque Come on! Ça démarre Sur les starting-blocks... »
Moi c’est en sortant du bus que j’ai senti ce choc
une vibration une rumeur inlassable un souffle formidable j’ai vu des montagnes des à-pic
des forêts transparentes de verre et d'azur
des canyons et des gouffres
des assemblées de géants tranquilles
des cascades des cataractes
la houle des buildings la skyline
j’ai vu la ville fortifiée plus ancienne peut-être que nos villes médiévales plus ancienne que les remparts de Thèbes de Baalbek
des donjons des beffrois des vigies des murailles
Et j’ai vu aussi des humains « des hommes, partout des hommes » des torrents d’humains des déferlements d’humains des océans
d’humains
l’océan de l’humanité du monde humain à chaque fois des visages uniques
l’impression quelquefois d’être dans à naples par exemple dans une ville d’Italie chacun joue son rôle avec ce qu’il faut de frime de
conviction ou bien de détachement
trouver le rythme entrer dans la danse oui mais jamais ne fermer les yeux
toutes les routes du monde convergent ici sur cette île cet archipel bien blotti au fond de sa baie
c’est un accumulateur l’énergie explose et rebondit les migrations incessantes de l’humanité toutes elles sont
passées par là elles ont débarqué leurs lots de douleurs et de joies et de
croyances
ici c’est l’humanité à nu au milieu de l’artifice de
l’artefact de l’image de l’illusion
c’est comme partout ailleurs mais c’est bien plus fort bien
plus lisible
(Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir)
Résumé des chapitres précédents : l’amour d’amiens,
c’est sa cathédrale, même si on ne sait pas trop ce que c’est, cette
cathédrale, et dieu non plus d’ailleurs (enfin moi je ne sais pas).
Il faut vous dire, pendant des années la cathédrale faisait
peine à voir, couverte d’une épaisse couche de crasse et de pollution, désertée, ignorée, livrée aux quatre vents, à
l’écart de la ville, alors que sans doute elle en avait été pendant de nombreux siècles le
coeur battant.
Et puis il y a eu les
travaux de rénovation, la cathédrale a été inscrite au patrimoine mondial de
l’UNESCO.
Pendant ce temps là celle qu'on appelle maintenant la « vierge dorée », au portail sud, avait disparu. Elle était soignée, nettoyée, câlinée certainement dans un
laboratoire ad hoc, par des gens compétents, dévoués, admirables et qui tous
sont tombés j’en suis sûr amoureux de l’objet de leur travail et de leur peine.
Les travaux se sont poursuivis, des hommes ont nettoyé la
pierre, ils ont retrouvé la teinte originelle des statues, du décor. C’est
bouleversant de voir ça, c’est comme un message qui remonte du passé. Un jour
la vierge dorée est réapparue, mais au milieu d’un chantier.
Splendide mais hors d’atteinte. J'ai attendu longtemps, je passais souvent devant elle, impatient de la voir enfin dans son entière splendeur.
Maintenant le chantier est fini. Et la vierge dorée est
toujours hors d’atteinte. Elle tient son enfant dans les bras, son enfant tient
le monde dans sa main, trois petits angelots tiennent derrière elle un mandorle (en fait c’est plutôt une
auréole, mais je préfère dire mandorle, peut-être à cause de ces deux couleurs,
vert et or, de la mandorle…)
Au dessus, les prophètes et autres personnes sérieuses
semblent ignorer la scène.
Moi je regarde sans me lasser, je suis bien sur
terre, je reste sur terre, bien loin de ce tableau charmant, léger, aérien.
Il en émane une joie simple : la
joie de l’enfance, de la vie, la joie de l'amour et de l'innocence. La tête de l’enfant n’est
pas beaucoup plus grosse qu’un poing…
Les angelots sont là comme pour casser le
tête-à-tête souvent grave, ou douloureux, de la mère et de son enfant. Ils
emportent le tableau général dans l’allégresse, loin des représentations
plus habituelles de la madone et de son enfant, comme celle qu’il y a à coté, sur le portail
de la vierge de la façade…
(Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir)
Résumé du chapitre précédent : l'amour d'Amiens, c'est ça sa cathédrale, bien sûr, mais on ne sait pas bien ce que c'est, cette cathédrale.
Voici la mienne en tout cas, oui, ma cathédrale.
Façade, portail de la vierge. Attitude hiératique des
personnages, mais l’ensemble est subtilement rythmé par les inclinaisons et
directions différentes des têtes, des mains. Deux statues attirent
particulièrement le regard, car elles composent, très discrètement, une belle scène,
bien connue, de l’évangile :
L’annonciation, bien sûr. Gabriel et la vierge échangent des
secrets.
Main de Gabriel : enseignement. Main de Marie : réserve,
acceptation.
Voussures du portail principal. Les générations successives
des humains sur Terre, la ronde des incarnations, les vivants qui succèdent aux
morts ; les morts qui soutiennent les vivants.
Lui c’est mon copain. Il a l’air un peu illuminé comme ça,
un peu simplet, mais il est enthousiaste, généreux, prêt à tout pour rendre
service, le cœur sur la main.
Quelquefois un peu exalté.
Je ne sais pas quel personnage
c’est. Je pense qu’un ouvrier de la cathédrale lui a prêté ses traits, son
allure (car oui, bien sûr, la cathédrale a été construite par des hommes, et ce
n’est pas le moindre de ses mystères).
La lumière de la cathédrale, sa lumière intérieure.
Un chef d’œuvre modeste. C’est juste un ange qui soulève une
tenture. La couleur rouge en est admirable, inattendue dans cet univers de
pierre grise.
La figure de l'ange : une douceur, et une tristesse, mystérieuse elle aussi.
L’histoire de Firmin. C’est toujours la même histoire, celle
que raconte inlassablement le christianisme. Firmin arrive, la venue du juste réveille les passions, les curiosités, les interrogations…
... et finalement
la violence, la violence révélée.
À l'extérieur, on retrouve Firmin, son portail. On y voit le zodiaque, accompagné des travaux et des jours des hommes. On se surprend à connaitre et reconnaitre ces images familières. Les cosmos nous accompagne chaque jour, nous le savions mais nous l'avions oublié.
Je sors de la cathédrale, quelquefois j'ai l'impression que dieu m'accompagne et me protège. Mais dieu non plus je ne sais pas ce que c'est.
(Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir)
L’amour d’Amiens, la joie d’Amiens, bien sûr c’est sa
cathédrale.
On dit cathédrale, c’est pour dire quelque chose, c’est pour
simplifier. En fait, on ne sait pas ce que c’est.
C’est peut-être un vaisseau cosmique prêt à décoller.
C’est une machinerie, une usine à gaz
somptueuse, certes, dans la lumière du couchant.
C’est un machin, en tout cas, quelque chose qui capte
l’énergie cosmique, ou alors un accumulateur, un dispensateur d’énergie
spirituelle, de vérité.
C’est sûr, ça a été construit par des extra-terrestres, ils
l’ont laissée là pour notre enseignement, ou alors par défi, pour que nous nous
posions quand même un peu quelques questions, du fond de notre ignorance.
En même temps c’est un peu comme une maison, c’est familier,
amical, on s’y retrouve. La façade a quelque chose d’écrasant, mais en fait elle
vous redresse le coeur .
L’intérieur est immense mais intime, comme si votre
âme s’y déployait, l’emplissait.
Mon histoire parait extraordinaire, unique, il n’y en a pas
de semblable. Tout le monde dans ma famille m’a rejetée. Maintenant je suis
dans la solitude glacée, tout le monde m’a oubliée, peut-être les gens ne me
voient même pas.
Peut-être une lointaine cousine française aurait pu me
comprendre, et partager ma peine :
« Maman le vent me fait la cour
le vent me trousse et m’éparpille
le vent me souffle des discours…
Il pousse mes volets la nuit…
Et je crois qu’un enfant va naitre…
Maman mon fils est né ce soir
J’en suis restée toute meurtrie
N’ai pas eu le temps de le voir
Il m’a laissée à ma folie
et le voici parti maman
Aux trousses de son père le vent… »
J’ai entendu parler d’une possible sœur, de son histoire on
a fait un film. Son mari travaillait sur une plate-forme pétrolière. Il a un
accident, il est condamné, elle dans sa folie elle le sauve, pour lui elle se
sacrifie, lui il a l’air de trouver ça normal, il se rend pas compte. Au moins elle
pour se sauver elle parle avec les anges. Et puis elle se sauve pour de bon,
elle monte au ciel je crois me souvenir. Pendant ce temps inlassablement les vagues
se cassent.
Ô vous toutes mes sœurs oubliées sacrifiées
rejetées en marge de la vie des hommes,
cantonnées dans le désert de la fatalité,
méprisées ignorées moquées,
mes innombrables sœurs invisibles,
ne me rejetez pas partagez ma peine,
j’ai épousé un homme de glace.
L’homme de glace, une nouvelle d’Haruki Murakami, dans le recueil
« saules aveugles, femme endormie », ed Belfond.
(Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir)
Un an à peu près que les travaux de rénovation de la place de la gare du Nord, à Amiens, sont finis .
La place de la gare c’était l’œuvre d’Auguste Perret, après la guerre, une place de proportions très classiques, mais révolutionnaire quant à son matériau – le béton – et dominée par l’étonnante silhouette de la tour Perret.
Une architecture modulaire, intelligente, qui parvenait à s’intégrer dans un lieu disparate, essentiel et contradictoire de la ville, et qui lui donnait une unité.
Une place surtout qui remplissait son rôle de carrefour et de rencontres, où il y avait des bagnoles, des gens, des taxis,… et même quelques arbres…,
et, aux heures de pointe, des embouteillages, des cris et de l’énervement, une place devant une gare, quoi, vivante de la vie des grandes villes de la fin du vingtième siècle.
Le maitre des lieux d’alors (Gilles de Robien), pour des motifs certainement louables, décida de remanier ce lieu hautement sensible, et donna, après un simulacre de concertation, sa préférence, au « projet Vasconi ».
Sur le papier, et sur les croquis, cela apparaissait comme une légère épure dessinée et construite par des anges, une « canopée », une verrière évanescente, quasiment immatérielle :
Hélas ! le résultat est tout à fait différent…
On a l’impression que les décideurs se sont dits : toutes ces voitures, ces gens qui font des choses aux abords de la gare cela fait vraiment trop désordre, il faut mettre un terme à tout ça, il n’y a qu’ à interdire la circulation et le stationnement des voitures des piétons et des bus, comme ça nous aurons la paix, nous aurons un espace parfait, pur, calme, non pollué par l’humanité, le vulgum pecus.
De ce point de vue c’est réussi. Le résultat est un espace pompeux, vide, théâtralisé. Une scène de théâtre, oui, mais les seuls acteurs sont des adeptes du skate-board, peu enthousiastes, et il n’y a pas beaucoup de spectateurs.
Tout converge vers des coulisses sinistres et anonymes.
En se baladant sous la canopée, on s’aperçoit qu’on a affaire à des perspectives tristes, des plans inclinés, ou verticaux, ou horizontaux, sans grâce, sans rythme, sans débouchés.
C’est vrai qu’il n’y a plus d’embouteillage à la gare : il est pratiquement impossible de stationner pour venir chercher ou déposer un visiteur. Les taxis ont obtenu une dérogation, ils peuvent attendre le client sous la canopée, comme en douce, en marge. Mais pour les particuliers, il faudra composer avec les stationnements interdits, et de toute façon, impossible de passer naturellement près de la gare, on a à subir un détournement arbitraire, inutile, qui vous entraine dans un des plus laids paysages urbains qui soit, en plein centre-ville !
L'anonymat d'une ville grise et froide, agrémenté d'un magasin de pompes funèbres...
Maigre consolation : de Robien a été battu aux élections municipales, laissant la place à une équipe socialiste, apparemment plus soucieuse de la vie quotidienne des gens que de parsemer la ville de monuments et constructions plus ou moins grotesques.
Mais n’empêche que pour maintenant longtemps la situation autour de la gare est figée. Il sera long, difficile et couteux de réparer les dégâts. Toutes les contradictions, les difficultés, toute l’histoire de la ville, qui se concentrent dans ce lieu, sont maintenant coiffées d’une incompréhensible et inutile « canopée », le contraire d’une architecture belle et intelligente, telle qu’on peut la voir à l’autre gare du Nord, à l'autre bout de la ligne, la gare du nord de Paris, et son puits de lumière…
Alors oui, on peut parler de tristesse d'Amiens. Tout n'est pas négatif dans ce qu'a accompli de Robien, loin de là. Il a sorti la ville de sa torpeur résignée, il en a fait une métropole dans le gout de l'époque, bien plus vivante qu'elle ne l'était, relativement attractive, et certaines réalisations et équipements sont des réussites.
Mais on a l'impression en passant et repassant sur cette place qu'une sorte d'ancienne malédiction est revenue. La malédiction d'une ville qui ne trouve pas sa place entre les agglomérations parisiennes et lilloises, qui a voulu se la jouer grande dame ambitieuse, et qui se retrouve malgré tous ses efforts affublée d'un faux nez vulgaire et encombrant, et qui sait qu'il sera bien difficile de rattraper le coup, de réparer les dégâts, de se composer un visage plus aimable.
Les hortillonnages sont tout prés, oublions l'agitation et le calme également factices, profitons de notre chance – la ville est là, tout autour, nous entendons sa rumeur assourdie ! – contemplons longuement le jeux et les reflets d'une pâle lumière dans le courant tranquille de la Somme...
C’est une nouvelle de Haruki Murakami, qui a pour titre
« l’histoire d’une tante pauvre ». Le héros se pose des questions sur
ce que c’est une tante pauvre. Lui, personnellement n’en a pas dans sa famille,
tandis que sa copine, oui.
Moi j’ai le privilège d’en avoir eu deux, de tantes pauvres,
et même de les avoir bien connues, quoique étant alors enfant. Je ne sais pas elles
étaient vraiment des tantes pauvres, comme en parle Haruki Murakami :
« Mais, au moins, tu as certainement rencontré une
tante pauvre au mariage de quelqu’un. Exactement comme chaque étagère possède
une longue rangée de livres que l’on n’a pas lus, chaque armoire, une robe qui
n’a pratiquement pas été portée, à chaque mariage figure une tante pauvre.
Presque personne ne prend la peine de la présenter aux
autres convives. Presque personne ne s’adresse à elle. Personne ne lui demande
de faire un discours. Elle a pris place à la table qu’on lui a assignée, mais
elle est simplement là – comme une bouteille de lait périmée. Elle avale son consommé
à toutes petites cuillérées tristes. Elle mange sa salade avec sa fourchette à
poisson. Elle ne parvient pas à attraper tous les haricots. Et c’est la seule
qui n’a pas de cuillère quand, au dessert, les glaces sont servies. »
Les miennes, mes deux tantes pauvres, avaient une forte
personnalité, au contraire. Elles n’étaient pas du genre à se faire oublier.
N’empêche, c’était mes tantes, et elles étaient pauvres, alors…
Alors peut-être que l’une d’elles, ou les deux, est
accrochée dans mon dos, sans que je m’en aperçoive. Le héros (qui est le
narrateur) de la nouvelle, lui, il se
retrouve avec une tante pauvre accrochée dans son dos. Tout le monde la voit –
à commencer par ses chats – mais chacun
différemment, suivant sa sensibilité et son histoire. Et cela lui vaut quelques
mésaventures, plutôt comiques, à vrai dire.
Quand j’y pense je les aimais bien mes deux tantes pauvres.
L’une vivait à Montrouge, dans une seule pièce, une fois nous y sommes allés
toute la famille, j’étais petit, je m’étais exclamé « qu’est ce que c’est
petit chez toi ! » Cela avait provoqué une sorte de scandale, un
malaise que tout le monde certainement s’était empressé de dissiper. Mon autre
tante elle était communiste, elle s’était mise un peu en marge de la famille,
je me souviens, j’étais déjà plus âgé, c’était à la mort de Jacques Duclos, il
y avait un Charlie-Hebdo qui se moquait de la mort du vieux stalinien
(« Adieu Jacques »), ma tante qui était là louchait sans rien dire
sur cette couverture…
Avec cette tante dans le dos, les amis du narrateur
s’éloignent de lui :
« Je commençai à me sentir semblable à un fauteuil de
dentiste : personne ne le déteste mais tout le monde l’évite. Si, par
hasard, je tombais sur des amis, ils trouvaient à l’instant une bonne raison de
s’éloigner au plus vite. « Je ne sais pas, m’avoua une fille avec un
certain embarras, mais une grande honnêteté. C’est plutôt difficile, tu
comprends, de se trouver à tes cotés ces temps-ci. Peut-être que si tu avais un
porte-parapluie dans le dos, je ne dis pas…
Un porte-parapluie.
Bon, c’en est assez, me dis-je. De toute façon, les
relations sociales, ça n’a jamais été mon fort. Et je n’ai absolument pas envie
de vivre avec un porte-parapluie dans le dos. »
Moi je n’ai pas de tante, ni de porte-parapluie, visibles dans
le dos. Mais, tout comme le narrateur, les relations sociales, ça n’a jamais
été mon fort. Et comme lui, « je fais partie de ces gens qui essaient
d’écrire des romans ».
Elles sont là, mes deux tantes pauvres, elles sont là parce
que, de temps en temps, je pense à elles. Ce n’est pas qu’elles m’étaient très
proches, non ; comme dans ma famille en général, nos rapports étaient
assez distendus, assez lointains. Mais n’empêche, elles sont là, ce n’est pas
un poids, non, ni une présence, mais un souvenir qui s’éloigne et qui de temps en
temps revient en douce, en pointillés.
Et d’ailleurs ce n’est même pas ça. C’est juste un mot, « tante
pauvre », un mot qui est planté dans notre chair, ou comme dit H.M, « une
sorte d’électrode connectée à l’esprit ». Il y a des millions et des
millions de mots, c’est entendu, et des millions et des millions de gens qui les utilisent :
« Le monde regorge de millions de raisons qui donneront
je ne sais combien de millions de résultats différents. Il existe des millions
de raisons de vivre et des millions de raisons de mourir. Des millions de
raisons de trouver des raisons. »
Alors on se débrouille avec la tante pauvre qui est dans
notre dos. Et puis d’ailleurs on est tous, peu ou prou, une tante pauvre, on ne
peut même pas dire la tante pauvre de quelqu’un. La tante pauvre n’appartient à
personne, elle n’est de nulle part. Elle est la part oubliée, le contraire de
la part maudite. Peut-être la part des anges ?
« Bien sûr, le temps terrasse tout un chacun avec une
égale indifférence. Comme un cocher bat son vieux cheval jusqu’à ce qu’il meure
sur le chemin. Mais la correction que nous subissons est si légère que peu d’entre
nous s’aperçoivent qu’ils sont battus.
Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’une tante pauvre, nous sommes
aptes à voir en face les espiègleries du temps, comme à travers les vitres d’un
aquarium. »
Elle a une sorte de perfection, la tante pauvre, dit H.M. La
perfection de nos regrets, de notre nostalgie. La perfection du temps qui
vient, d’un rêve d’avenir, d’une utopie où tous nous serions heureux et
fraternels.
Ou alors la perfection d’une expression lointaine, à venir, « dans
dix mille ans ». Nous aurons tout, dans dix mille ans, répond en écho Léo
Ferré. Mais non, ça n’a rien à voir, Léo
Ferré comme le chantre des tantes pauvres, vous pensez…
Ça me rassure de penser à ça, à un avenir tellement lointain
– l’an 12009 ! – que bien sûr il n’existe pas du tout, mais que en même
temps il est là, et il me console de ma paresse, et de cet ennui et de cette
difficulté qu’il y a à vivre chaque jour l’un après l’autre (« Tu sais,
continua-t-elle, comme si elle me confiait un secret, la vie est vraiment dure.
– Je sais. Elle avait raison. C’est vraiment dur de vivre. »).
Le dalaï lama, lui,
il dit :
« Se contenter de vivre ne suffit pas. Les vingt
premières années de notre existence, on se dit que l’on est trop jeune et on ne
se met pas à l’étude. Après, on passe vingt autres années à dire : « je
vais pratiquer, je vais pratiquer », mais on ne le fait pas. Viennent ensuite
vingt années qui se passent à répéter : « je ne peux pas, je ne peux
pas », à se lamenter de ne pouvoir étudier parce que l’on est trop vieux,
que la vue baisse et l’ouïe aussi. C’est ainsi que l’on gaspille sa vie. »
Il a raison le dalaï lama ! Mais je doute qu’une tante
pauvre un jour se soit accrochée à ses basques… Ou alors c'est le contraire : la tante pauvre c'est le karma, c'est le passif des vies antérieures gâchées, et le dalaï lama lui qui est l'illuminé il a à sa basques toutes ces pauvres vies...
Et quand tout sera accompli – dans dix mille ans – toutes les tantes pauvres reviendront, le monde sera fait à leur mesure, ce sera un spectacle de pure beauté. Oui, nous verrons cela, si dieu nous prête vie, encore, pour dix mille ans !
L’histoire d’une tante pauvre, une nouvelle de Haruki
Murakami. Dans le recueil «Saules
aveugles, femme endormie », ed. Belfond.
— « Écoute… écoute… Dans le silence de la mer il y a comme un balancement maudit qui vous met le cœur à l’heure ». C’est Léo Ferré qui a dit ça…
— J’adore le bruit de la mer…. Je ne m’en lasse pas.
— Dans ce balancement maudit, dans ce silence, j’ai enfin entendu ce qu’il disait ce silence, j’ai entendu le « Kirie eleison » de la messe en si. Seigneur prend pitié…. La malédiction de la condition humaine, oui, et cette imploration qui monte et qui descend, qui se répercute, qui se retire et qui s’avance, qui se répand et se répond de vague en vague, ici toute proche, et puis lointaine, à l’autre bout de la plage, comme des voix qui se répondent de pupitre en pupitre… Et puis maintenant j’y entends autre chose, j’y entends de la joie, une joie sans mélange, une joie sans égale, comme des éclats de rire, des remuements de foule en liesse, les éclats de voix d’une joyeuse assemblée éternelle, et c’est notre ignorance qui est maudite…
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Une journée du patrimoine, septembre 2008, à Amiens.
Quartier Sainte Anne. Le conférencier n’est pas très aimable, plutôt pressé, pas très pédagogue quoi. Pourtant il explique des choses intéressantes. Nous sommes dans le nord de la France, les maisons sont en briques… Le long coté de la brique s’appelle la panneresse, le coté court la boutisse. La disposition des briques s’appelle l’appareillage, et on distingue l’appareillage anglais : on alterne une rangée de boutisses, une rangée de panneresses :
Plus rare et plus attrayant : l’appareillage flamand : dans chaque rangée, on alterne boutisse et panneresse :
Les constructions plus récentes sont dévolues à un appareillage plus commun (l’appareillage français ?), l’appareillage en panneresses, bien monotone :
Question de rentabilité, probablement.
Une campagne de ravalement a fait ressurgir la diversité des façades des maisons amiénoises, leur a donné un coup de jeune. À droite, une façade ravalée. La brique est mise à nu, les joints sont beurrés (pour rattraper l’irrégularité de la brique), à gauche les briques et les joints sont peints :
Plus rare et plus fragile, le joint en saillie. Difficile de trouver un artisan qui sache encore le faire :
Le quartier est calme maintenant, peut-être était-il plus animé dans le temps, en tout cas on décèle l’existence d’anciens commerces sur d’assez nombreuses façades :
Quartier Saint Acheul. Le conférencier est un architecte de la ville, beaucoup plus enthousiaste. Il y a eu trois principales campagnes de construction de maisons amiénoises… Des promoteurs achetaient des lots et construisaient sur ces lots des maisons toutes semblables. Puis le temps fait son œuvre, les maisons sont diversement entretenues, aménagées, elles prennent chacune leur patine , leur personnalité :
Sur le boulevard de Pont-Noyelles, les maisons se font plus cossues, le décor est plus riche, mais on garde l’idée générale de la maison amiénoise :
Sauf des façades d’inspiration arts-déco, il n’y pas de style bien défini ; on parle de style éclectique… :
Une des personnes qui suit la conférence parle d’un magasin, Au bonheur des dames, aujourd’hui disparu. Je m’en souviens, il était au bas du boulevard, maintenant il y a une banque. Mais lui parle d’un temps plus ancien, où ce magasin aurait été un peu plus haut sur le boulevard...
En des temps encore plus anciens, la ville, plus petite, était protégée par des fortifications. Il en reste des traces : la rue du fossé, la rue de la contrescarpe, et cette bizarre place, qui sert de parking, la trace d’une ancienne redoute redoute :
Quartier Saint-Acheul et quartier Sainte-Anne sont les résultats d’une politique d’urbanisme cohérente et bien suivie dans le temps. Cela leur donne un aspect homogène, quelquefois monotone. De grands axes de circulation immémoriaux tranchent littéralement dans cette uniformité : la rue Jules Barni par exemple mélange de modestes maisons d’employés, d’ouvriers agricoles, des masures, des maisons de maitre, des entrepôts, d’anciennes petites fabriques :
Des générations d’humains ont moulé, puis posé des briques par ici. Ils ont monté des murs, puis se sont réfugié derrière. Quelquefois on voit un mur qui tente de retourner à l’état sauvage :
Ceux qui ont élevé ces murs maintenant ils sont morts. Mais nous, nous maintenons, nous nous souvenons. Nous vivons parmi eux, parmi la cohorte des morts oubliés, auxquels nous succédons, et que nous rejoindrons. Dans les journées du patrimoine ou dans des promenades mélancoliques, nous leur rendons un hommage maladroit, nous les maintenons en vie, nous nous imprégnons de leur présence mystérieuse.
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Il s’agit bien de cela, oui. Il s’agit de la naissance de la
vie, son surgissement, son fonctionnement intime. Les mitochondries, les
cellules palpitent, les sèves circulent. Le foisonnement, la fécondation, l’ovule.
En bas c’est le fond de la mer. Des animalcules, des brins d’algue
vibrionnent dans la lumière qui vient d’en haut, ils sont secoués agités par
les remous de l’océan, et puis ça s’organise, une colonne se dresse, elle
tourne sur elle-même, ça s’élève, ça s’arrache du fond obscur et ça surgit dans
la lumière blanche :
sur fond blanc en demi-lune coupée, au centre du tableau, il
y a ce fonctionnement obstiné, peut-être le mouvement obscur que nous sentons
dans nos entrailles, ou la circulation de l’air dans les alvéoles de la cage
thoracique, mais la cage a éclaté, il y a la joie secrète et éclatante de la
floraison, et la lourdeur des fruits mûrs, grenades, iris, bleuets, cassis et
grappes bleues, les simples et les ignorés, la feuille morte qu’on foule sur le
chemin, les poulpes et les pieuvres, l’inflorescence, le cablage, le réseau…
Là haut ça grimpe, ça s’étend ça explore le ciel, ça s’installe.
On a surgi de la mer, il s’agit maintenant de s’inscrire dans le ciel,
tournoyer dans l’azur, s’élancer vers des galaxies lointaines et si proches et
si semblables cependant. On les voit ces galaxies, maintenant ce sont elles qui
tournoient dans le ciel, il faudrait mieux dire derrière le ciel, car ce n’est
plus ici, ce n’est plus sur terre, le mouvement est maintenant lointain ,
estompé…
Mais, assez de ces verbiages. Paix, calme, silence. Je
contemple une autre toile, et ce n’est rien, c’est comme de contempler rêveusement
un bouquet de fleurs, dans un intérieur bien confortable, ou bien alors sortir dans le froid de la saison, et regarder
et écouter un arbre qui bruisse doucement dans la grise lumière d’un après midi
suspendu. Séraphine est là, c’est son jour de congé. Tout le monde la prend
pour un folle, ou une simple d’esprit. Elle est comme ses toiles.
Ici l’esprit
souffle doucement. Les fruits d’or sont lourds, sur leur fond profond de
feuilles dentelées. L’esprit du créateur est immense, à vrai dire sa fantaisie
n’a pas de limite, et l’œil de Séraphine regarde amusé ce déploiement que tout
le monde oublie.
Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis.
Une expo au musée Maillol, à Paris, jusqu'au 5 janvier. 18 œuvres en tout. Beaucoup viennent du musée d'art et d'archéologie de Senlis.
Un beau film de Martin Provost, avec Yolande Moreau.
Dans le site de la dormeuse, on peut lire l'article affamées, qui met en parallèle les destins tragiques de Camille Claudel et Séraphine Louis.
Oui je sais pour cette année c’est trop tard. Peut-être
l’été de la Saint Martin pour certains d’entre nous ?
Premier exercice.
Matériel nécessaire : une houle légère et régulière, un
maillot de bain.
Vous nagez le long de la grève, là où il y a peu de fond, à
l’endroit juste, avant que les gentilles vagues ne se brisent (on ne peut pas
dire qu’elles déferlent, ni qu’elles se brisent d’ailleurs…).
Votre attention est fixée sur votre mouvement, votre
direction, le souci de ne pas se retrouver sur le sable, la difficulté de nager
en eau peu profonde.
Soudain une vague vous soulève, vous tire doucement vers le
large, accomplit avec vous son cercle et vous repose.
Pendant un instant vous avez été ailleurs, le monde vous a
porté, vous a bercé, et ce bercement s’est mélangé à tous vos mouvements, à ce mouvement
volontaire de la nage, aux mouvements divers de votre esprit.
C’est presque rien, c’est ineffable, c’est un moment
suspendu, c’est un instant de pure jouissance.
Et puis plus rien, vous vous retrouvez à nager, les vagues
passent au dessus de vous comme d’habitude.
Vous cherchez à retrouver cette sensation. Non, elle ne
vient pas.
Et puis de nouveau elle est là. Le temps d’une vague… de
deux vagues… C’est tellement fragile, ça ne tient à rien, ça tient à votre oubli
de votre volonté, oubli des discours, c’est une pure sensation, c’est être dans
le monde, pour un instant, pour cet instant seulement.
Deuxième exercice.
Matériel nécessaire : une plage dans la lumière du
matin, pas surpeuplée, pas déserte non plus.
Dans la lumière du matin
ou du soir
Vous êtes bien. Vous vous sentez bien. Vous prenez
conscience que les gens autour de vous aussi sont bien, se sentent bien. Vous
les observez. Et eux, bien sûr, ils vous observent aussi. Vous n’y avez jamais
pensé, enfin si, peut-être, sûrement même, mais c’est comme une idée nouvelle
qui vous vient.
Et puis quelquefois une sorte de miracle se produit. Sur cette
plage qui est comme une scène de théâtre, où chacun est sous le regard des
autres, et le sait, il arrive que tous ces acteurs improvisés, nous tous abandonnions
toute idée de représentation, de duplicité, de tromperie.
Tout le monde se laisse aller à la douceur de l’instant. La
mer déverse ses ions négatifs et ses embruns sur vous, sur tous. Une espèce d’ivresse
flotte dans l’air.
Les gens ont des comportements bizarres, finalement : celui-ci,
peut-être un chef d’entreprise, est assis au bord de l’eau, il construit un maladroit château de sable
avec ses mains. Cette dame respectable marche dans au bord de l’eau, les mains
derrière le dos, elle inspecte avec beaucoup de sérieux le clapotis des vagues.
Une famille met un temps infini à plier ses affaires pour partir, tous leurs
gestes sont au ralenti, comme suspendus dans une éternité provisoire. Deux
jeunes amoureux sont allongés l’un à coté de l’autre, lui caresse l’épaule de
sa fiancée, avec distraction, avec insistance, dans un geste anodin et
hypnotique. Des regards fortuits s’échangent. Des sourires
Ça aussi bien sûr c’est fragile, ça tient à rien. Après tout
le monde fait semblant d’oublier, tout le monde reprend ses oripeaux.
... et
balnéaire. Pour cette année c'est peut-être un peu tard, mais l'année
prochaine, oui, pourquoi pas ?
Matériel
nécessaire : une plage, un coucher de soleil, des mouettes.
Attendre que
la plage se dépeuple, au fur et à mesure que le soleil décline. La lumière
devient de plus en plus belle, bizarrement c’est l’heure où les vacanciers s’en
vont, préférant sans doute les beautés de l’apéritif ?
La plage est maintenant silencieuse, peut-être recueillie, et la lumière va déployer ses beautés et son histoire, faites confiance aux mouettes pour vous les enseigner.
Il suffit de les suivre dans leur vol : celle-ci, qui se détache de la
colline, puis dessine une courbe gauche et parfaite dans le ciel lumineux du
coté du soleil.
Regardez, elle vous montre le dégradé qui va de ce bleu
lumineux, intense, vaporeux, à un bleu plus sombre, plus soutenu vers le
profond de la voute, et puis une autre mouette prend le relais, celle-ci vous
fait découvrir des fontaines, des cascades de mauve au dessus de la mer, et puis
elle se pose sur la mer sombre, soudain on ne la distingue plus qu’à peine.
Vous aviez
oublié les couleurs chaudes et nettes du littoral encore au soleil : cette
mouette vous y emmène, elle vous dit : « regarde là aussi ! n’oublie pas ! ».
vous êtes un
bon élève. Une mouette va vous donner à voir l’épaisseur de l’espace, le
charnel de la distance de vous à elle. Elle est au dessus de vous, elle vogue
dans la lumière, toute proche, et chacun de ses battements d’aile fait vibrer
toute l’atmosphère, toute la terre.
Maintenant vous pouvez récapituler tout l’espace
que vous ont appris les mouettes, dans les dernières lueurs du jour. Tout se
calme. Tout ce calme… N’oubliez pas.